A tel point qu’on ne compte pas moins de 34 montres et pendules vendues à celle qui avait épousé en 1800 Joachim Murat, alors commandant de la garde consulaire, et qui occupa avec son époux le trône de Naples de 1808 à 1815.
Durant son règne mouvementé, Caroline Murat encouragea les arts, s’impliqua fortement dans la décoration des palais royaux, s’intéressa aux fouilles archéologiques de Pompéi et d’Herculanum, et encouragea l’industrie manufacturière. Elle n’hésita pas à faire connaitre à Naples des peintres français comme Ingres, des artistes parisiens de la mode, du théâtre ou… de l’horlogerie.
A l’évidence, Caroline avait le goût de la haute horlogerie et appréciait les créations sorties des ateliers du Quai de l’Horloge ; elle pouvait d’ailleurs évoquer le sujet avec les membres de sa famille, puisque les archives Breguet pour la période napoléonienne regorgent de tous les noms et titres de la fratrie : Napoléon en personne, acquéreur de trois pièces avant son départ pour l’Egypte en 1798, et les deux impératrices Joséphine à partir de 1797 puis Marie-Louise à partir de 1811, et Joseph roi de Naples puis d’Espagne, Louis roi de Hollande et Lucien prince de Canino, Jérôme roi de Westphalie, Pauline et son époux le prince Borghèse, Elisa grande-duchesse de Toscane…
Sans parler de leurs proches, hauts dignitaires maréchaux et généraux… On pourrait faire une étude complète des achats des membres de la famille impériale ! Et c’est d’ailleurs en analysant les achats des uns et des autres que l’on découvre une curieuse histoire, une histoire qui s’étale de 1810 à 1812 et qui concerne notre Caroline Murat et … une montre-bracelet.
Une montre-bracelet à cette époque ? Impossible, diront les uns, beaucoup trop tôt, diront les autres ! En effet, la montre-bracelet apparait timidement vers 1880 pour les dames, un peu plus tard pour les hommes ; vers 1910, il est vrai, les cyclistes, les cavaliers, les pionniers de l’aviation et de l’automobile adoptent peu à peu la montre-bracelet que chaque maison d’horlogerie possède désormais à son catalogue en une ou plusieurs versions.
Tout cela est bien loin de notre histoire ! Oui, mais comme souvent pour les inventions, il y a des antériorités, des faits plus anciens, oubliés ou connus seulement des spécialistes. Pour la montre-bracelet, laissons de côté les témoignages concernant des montres attachées à posteriori à des bracelets telles des breloques ou fixées à posteriori dans ou sur de gros bracelets, pour ne nous intéresser qu’à des pièces conçues dès l’origine en tant que montre-bracelet.
Pendant longtemps, une importante antériorité dans ce domaine était revendiquée par la maison Patek-Philippe de Genève qui évoquait : « la commande en 1868 par la comtesse hongroise Kocewicz de la première véritable montre-bracelet. »
Avec Breguet et la reine de Naples Caroline Murat nous sommes presque soixante ans plus tôt… Mais quelle est donc cette histoire improbable ? Que nous disent les archives disponibles ? Allons à Paris où sont précieusement conservées les archives historiques de la maison Breguet, au cœur de la place Vendôme. Ouvrons d’abord le livre des commandes spéciales (on disait alors les « commissions ») qui rassemble les demandes spécifiques des clients n’ayant pas trouvé leur bonheur avec les pièces disponibles présentées par Breguet.
Durant son règne mouvementé, Caroline Murat encouragea les arts, s’impliqua fortement dans la décoration des palais royaux, s’intéressa aux fouilles archéologiques de Pompéi et d’Herculanum, et encouragea l’industrie manufacturière. Elle n’hésita pas à faire connaitre à Naples des peintres français comme Ingres, des artistes parisiens de la mode, du théâtre ou… de l’horlogerie.
A l’évidence, Caroline avait le goût de la haute horlogerie et appréciait les créations sorties des ateliers du Quai de l’Horloge ; elle pouvait d’ailleurs évoquer le sujet avec les membres de sa famille, puisque les archives Breguet pour la période napoléonienne regorgent de tous les noms et titres de la fratrie : Napoléon en personne, acquéreur de trois pièces avant son départ pour l’Egypte en 1798, et les deux impératrices Joséphine à partir de 1797 puis Marie-Louise à partir de 1811, et Joseph roi de Naples puis d’Espagne, Louis roi de Hollande et Lucien prince de Canino, Jérôme roi de Westphalie, Pauline et son époux le prince Borghèse, Elisa grande-duchesse de Toscane…
Sans parler de leurs proches, hauts dignitaires maréchaux et généraux… On pourrait faire une étude complète des achats des membres de la famille impériale ! Et c’est d’ailleurs en analysant les achats des uns et des autres que l’on découvre une curieuse histoire, une histoire qui s’étale de 1810 à 1812 et qui concerne notre Caroline Murat et … une montre-bracelet.
Une montre-bracelet à cette époque ? Impossible, diront les uns, beaucoup trop tôt, diront les autres ! En effet, la montre-bracelet apparait timidement vers 1880 pour les dames, un peu plus tard pour les hommes ; vers 1910, il est vrai, les cyclistes, les cavaliers, les pionniers de l’aviation et de l’automobile adoptent peu à peu la montre-bracelet que chaque maison d’horlogerie possède désormais à son catalogue en une ou plusieurs versions.
Tout cela est bien loin de notre histoire ! Oui, mais comme souvent pour les inventions, il y a des antériorités, des faits plus anciens, oubliés ou connus seulement des spécialistes. Pour la montre-bracelet, laissons de côté les témoignages concernant des montres attachées à posteriori à des bracelets telles des breloques ou fixées à posteriori dans ou sur de gros bracelets, pour ne nous intéresser qu’à des pièces conçues dès l’origine en tant que montre-bracelet.
Pendant longtemps, une importante antériorité dans ce domaine était revendiquée par la maison Patek-Philippe de Genève qui évoquait : « la commande en 1868 par la comtesse hongroise Kocewicz de la première véritable montre-bracelet. »
Avec Breguet et la reine de Naples Caroline Murat nous sommes presque soixante ans plus tôt… Mais quelle est donc cette histoire improbable ? Que nous disent les archives disponibles ? Allons à Paris où sont précieusement conservées les archives historiques de la maison Breguet, au cœur de la place Vendôme. Ouvrons d’abord le livre des commandes spéciales (on disait alors les « commissions ») qui rassemble les demandes spécifiques des clients n’ayant pas trouvé leur bonheur avec les pièces disponibles présentées par Breguet.
Ce livre passionnant est rempli de toutes sortes de complications ou de fantaisies qu’Abraham-Louis Breguet acceptait de réaliser pour ses clients, souvent des personnages puissants et célèbres. Au folio 29 on y lit que la reine de Naples, le 8 juin 1810, a passé commande de deux pièces un peu particulières : une montre de carrosse à grandes complications, pour 100 Louis, « plus une montre pour bracelet à répétition dont on lui fait le prix 5000 Francs. »
Suivons maintenant le cheminement de cette étonnante commande et ouvrons le registre des fabrications, livre qui contient la fiche d’identité de chaque montre, avec le récapitulatif complet de toutes les opérations ayant conduit à la réalisation de la pièce. Tout d’abord, la commande de la reine de Naples est devenue la montre N° 2639 de la production Breguet avec pour dénomination – inédite – « répétition de forme oblongue pour bracelet ».
La pièce a été mise en fabrication le 11 août 1810, soit juste deux mois après avoir été commandée, et elle a été terminée le 21 décembre 1812. Sa fabrication aura donc duré presque deux ans et demi. On apprend qu’il s’agit d’une montre à répétition, c'est-à-dire à répétition des quarts, ce qui est courant pour une Breguet, et l’on découvre aussi, fait exceptionnel, que la montre est oblongue, c'est-à-dire ovale.
Le registre des fabrications nous signale en outre que cette montre possède un échappement à ancre et qu’elle est dotée d’un thermomètre. Sa réalisation a demandé 34 opérations différentes impliquant 17 personnes dont on retrouve les noms. Début décembre 1811, la montre semble prête et elle est facturée 4 800 Francs le 5 décembre. Breguet avait annoncé 5 000 Francs à la commande, il a tenu parole, avec 200 Francs de moins !
Pourtant, la montre n’est pas livrée. Elle ne sortira des ateliers qu’un an plus tard… Abraham-Louis Breguet a dû prendre la décision de retarder sa livraison. On ne livre que quand tout est parfait, c’est la règle. Première constatation, on change le système de la minuterie qui ne donne pas totale satisfaction ou qui a cassé.
Ensuite, on remplace –sans doute à la demande de la reine elle-même – le cadran d’or guilloché par un cadran d’argent guilloché dont on précise que les chiffres sont arabes (les chiffres arabes, habituels pour les cadrans d’émail, sont très rares sur les cadrans d’or ou d’argent). Finalement la pièce est prête le 21 décembre 1812. Elle est probablement expédiée à la reine Caroline qui, rentrée à Naples, exerce alors la régence à la place de Murat appelé à combattre aux côtés de l’empereur Napoléon en Russie.
Aucun croquis n’ayant été retrouvé dans les archives, il faut poursuivre les recherches pour en savoir plus quant à son aspect extérieur. Par chance, nous retrouvons sa trace en 1849 dans un livre de rhabillage qui consigne les réparations effectuées sur les montres Breguet, autrement dit ce que nous appelons aujourd’hui le service après-vente.
On peut y lire que, le 8 mars 1849, la comtesse Rasponi, « domiciliée à Paris, 63 rue d’Anjou » apporte à réparer sa montre N° 2639. La propriétaire n’est autre que Louise Murat, née en 1805, quatrième et dernier enfant de Joachim et Caroline Murat, qui a épousé en 1825 le comte Giulio Rasponi. Quant à la montre, elle est parfaitement décrite : « montre à répétition très plate N° 2639, cadran d’argent, chiffres arabes, à thermomètre et avance-retard hors du cadran, ladite montre s’ajustant dans un bracelet en cheveux garnis d’or, à la volonté, clé simple d’or, un autre bracelet garni d’or également, dans un étui de maroquin rouge. Pour réparer. »
Saluons au passage la précision de ce texte qui trahit sûrement l’admiration du scribe pour l’objet, si peu ordinaire. Le 27 mars 1849, la montre était rendue à sa propriétaire. La réparation, d’un coût de 80 Francs, est ainsi décrite : « On a repoli les pivots, rétabli le thermomètre, remis la répétition dans ses fonctions, remis le cadran à neuf, visité, nettoyé la montre dans toutes ses parties et réglée. »
La montre est de nouveau réparée en 1855, et c’est la dernière trace que la maison Breguet possède d’elle. Cette montre est aujourd’hui introuvable. Elle n’est signalée dans aucune collection publique ou privée. Existe-t-elle encore ? Va-t-elle reparaître un jour ? Les recherches sont lancées, avis aux amateurs !
Grâce aux descriptions des archives, on peut se faire une idée de la pièce et, même si des renseignements sont manquants (dimensions, disposition exacte des fonctions sur le cadran, forme du bracelet et mode de fixation et de fermeture), on ne peut qu’être éblouis devant une telle œuvre d’art et une telle prouesse.
Que dire, en l’état actuel de nos connaissances, sinon rendre hommage à Abraham-Louis Breguet qui, sur une commande de la reine de Naples du 8 juin 1810, a conçu spécialement pour cet usage la première montre-bracelet connue au monde, une pièce à l’architecture totalement inédite et d’un raffinement inouï puisqu’il s’agit d’une montre à répétition et complications, ovale, exceptionnellement fine, et dotée d’un bracelet en cheveux garnis de fils d’or.
Et l’on peut aussi rendre hommage à Caroline Murat, une authentique amoureuse d’horlogerie, sans laquelle peut-être Breguet n’aurait pas conçue une telle pièce, une Caroline Murat qui aurait pu –on le sait peu– régner sur un pays d’horlogers, si elle avait accepté la Principauté de Neuchâtel que son frère lui proposa en 1806 et qu’elle déclina trouvant son territoire trop petit… Mais on ne refait pas l’Histoire.
Suivons maintenant le cheminement de cette étonnante commande et ouvrons le registre des fabrications, livre qui contient la fiche d’identité de chaque montre, avec le récapitulatif complet de toutes les opérations ayant conduit à la réalisation de la pièce. Tout d’abord, la commande de la reine de Naples est devenue la montre N° 2639 de la production Breguet avec pour dénomination – inédite – « répétition de forme oblongue pour bracelet ».
La pièce a été mise en fabrication le 11 août 1810, soit juste deux mois après avoir été commandée, et elle a été terminée le 21 décembre 1812. Sa fabrication aura donc duré presque deux ans et demi. On apprend qu’il s’agit d’une montre à répétition, c'est-à-dire à répétition des quarts, ce qui est courant pour une Breguet, et l’on découvre aussi, fait exceptionnel, que la montre est oblongue, c'est-à-dire ovale.
Le registre des fabrications nous signale en outre que cette montre possède un échappement à ancre et qu’elle est dotée d’un thermomètre. Sa réalisation a demandé 34 opérations différentes impliquant 17 personnes dont on retrouve les noms. Début décembre 1811, la montre semble prête et elle est facturée 4 800 Francs le 5 décembre. Breguet avait annoncé 5 000 Francs à la commande, il a tenu parole, avec 200 Francs de moins !
Pourtant, la montre n’est pas livrée. Elle ne sortira des ateliers qu’un an plus tard… Abraham-Louis Breguet a dû prendre la décision de retarder sa livraison. On ne livre que quand tout est parfait, c’est la règle. Première constatation, on change le système de la minuterie qui ne donne pas totale satisfaction ou qui a cassé.
Ensuite, on remplace –sans doute à la demande de la reine elle-même – le cadran d’or guilloché par un cadran d’argent guilloché dont on précise que les chiffres sont arabes (les chiffres arabes, habituels pour les cadrans d’émail, sont très rares sur les cadrans d’or ou d’argent). Finalement la pièce est prête le 21 décembre 1812. Elle est probablement expédiée à la reine Caroline qui, rentrée à Naples, exerce alors la régence à la place de Murat appelé à combattre aux côtés de l’empereur Napoléon en Russie.
Aucun croquis n’ayant été retrouvé dans les archives, il faut poursuivre les recherches pour en savoir plus quant à son aspect extérieur. Par chance, nous retrouvons sa trace en 1849 dans un livre de rhabillage qui consigne les réparations effectuées sur les montres Breguet, autrement dit ce que nous appelons aujourd’hui le service après-vente.
On peut y lire que, le 8 mars 1849, la comtesse Rasponi, « domiciliée à Paris, 63 rue d’Anjou » apporte à réparer sa montre N° 2639. La propriétaire n’est autre que Louise Murat, née en 1805, quatrième et dernier enfant de Joachim et Caroline Murat, qui a épousé en 1825 le comte Giulio Rasponi. Quant à la montre, elle est parfaitement décrite : « montre à répétition très plate N° 2639, cadran d’argent, chiffres arabes, à thermomètre et avance-retard hors du cadran, ladite montre s’ajustant dans un bracelet en cheveux garnis d’or, à la volonté, clé simple d’or, un autre bracelet garni d’or également, dans un étui de maroquin rouge. Pour réparer. »
Saluons au passage la précision de ce texte qui trahit sûrement l’admiration du scribe pour l’objet, si peu ordinaire. Le 27 mars 1849, la montre était rendue à sa propriétaire. La réparation, d’un coût de 80 Francs, est ainsi décrite : « On a repoli les pivots, rétabli le thermomètre, remis la répétition dans ses fonctions, remis le cadran à neuf, visité, nettoyé la montre dans toutes ses parties et réglée. »
La montre est de nouveau réparée en 1855, et c’est la dernière trace que la maison Breguet possède d’elle. Cette montre est aujourd’hui introuvable. Elle n’est signalée dans aucune collection publique ou privée. Existe-t-elle encore ? Va-t-elle reparaître un jour ? Les recherches sont lancées, avis aux amateurs !
Grâce aux descriptions des archives, on peut se faire une idée de la pièce et, même si des renseignements sont manquants (dimensions, disposition exacte des fonctions sur le cadran, forme du bracelet et mode de fixation et de fermeture), on ne peut qu’être éblouis devant une telle œuvre d’art et une telle prouesse.
Que dire, en l’état actuel de nos connaissances, sinon rendre hommage à Abraham-Louis Breguet qui, sur une commande de la reine de Naples du 8 juin 1810, a conçu spécialement pour cet usage la première montre-bracelet connue au monde, une pièce à l’architecture totalement inédite et d’un raffinement inouï puisqu’il s’agit d’une montre à répétition et complications, ovale, exceptionnellement fine, et dotée d’un bracelet en cheveux garnis de fils d’or.
Et l’on peut aussi rendre hommage à Caroline Murat, une authentique amoureuse d’horlogerie, sans laquelle peut-être Breguet n’aurait pas conçue une telle pièce, une Caroline Murat qui aurait pu –on le sait peu– régner sur un pays d’horlogers, si elle avait accepté la Principauté de Neuchâtel que son frère lui proposa en 1806 et qu’elle déclina trouvant son territoire trop petit… Mais on ne refait pas l’Histoire.