Kojima : la ville japonaise dédiée au denim nippon


Les véritables amateurs de denim savent que de nos jours, les plus beaux tissus sont fabriqués au Japon… En plus précisément dans la ville de Kojima et ses environs qui produisent parmi les meilleures toiles de jeans au monde. Une production qui se concrétise dans cette petite cité côtière par sa Denim Street où une trentaine de boutiques commercialisent leurs vêtements en denim « made in Japan ».


Kojima est une petite ville côtière de moins de 20.000 habitants qui se trouve à environ deux heures de train d’Osaka et à vingt minutes d’Okayama, capitale de la préfecture d'Okayama dans la région de Chūgoku. Une région traditionnellement tournée vers l’industrie textile depuis des siècles.
 
En dehors du Japon, pratiquement personne n’a jamais entendu parler de Kojima… Personne, sauf les amoureux de denim japonais et notamment, les amateurs de la marque Momotaro (on se souvient de son partenariat avec Oris), originaire de Kojima et dont le siège social est encore installé à quelques centaines de mètres de la gare…
 
D’ailleurs, dès votre arrivée en train, dans la gare, le ton est donné : on voit des images de jeans et de denim un peu partout. Sur les escaliers, sur les murs, près de toilettes, dans la consigne, etc. Aucun doute possible : Kojima, est « la » ville du denim nippon. Tout simplement l’un des meilleurs au monde. Si ce n’est le meilleur...

On connait l’histoire du denim… Son départ de France (de Nîmes) et son arrivée aux Etats-Unis au milieu de 19ème en même temps qu’un certain Levy Strauss. Une toile rugueuse, idéale pour les vêtements de travail qui va devenir la toile la plus utilisée pour les vêtements dans le monde entier.
 
Oui, mais voilà, au fil des décennies, la production américaine s’est entièrement mécanisée et a, d’une certaine manière, perdu son âme en plus de sa qualité. C’est là que les Japonais interviennent. On le sait, dans les années 60, la mode US est en vogue au Pays du soleil levant. Les jeunes ne jurent que par le style preppy. Et notamment ses jeans largement popularisés par le cinéma hollywoodien.
 
On parle alors du phénomène « Ametora »* qui est un mélange des mots « American traditionnal ». A ce titre, lire l’excellent ouvrage éponyme de l’historien W. David Marx qui retrace justement toute l’influence et l’appropriation du style américain au sein de la société japonaise. Une influence que l’on retrouve encore aujourd’hui autant chez Uniqlo que chez Beams, Tomorrowland et bien d’autres !

Si le premier jean selvedge* (que l’on pourrait traduire par « bord fini » au cours du tissage et non coupé et recousu par la suite) entièrement japonais baptisée le KD-8, Kurabo Denim 8, date officiellement de 1972, la notion de denim haut de gamme japonais naitra bien plus tard dans les années 90.
 
La toile Selvedge n’est pas japonaise contrairement à ce que beaucoup pense… Elle fut produite à l’origine par les Américains, puis les Japonais se la sont réappropriée par la suite. Elle est teintée grâce à des teintures naturelles (le fameux indigo), elle plus dense et plus serrée.
 
Elle est tissée sur une machine de 31 inches de large (environ 80 centimètres), deux fois moins que la toile de denim moderne. Ces métiers à tisser demandent de surcroit une plus grande expertise de l’artisan pour les utiliser.

Cette toile est terminée sur le côté par un liseré de couleur (souvent rouge* mais pas uniquement), le fameux « bord fini » qui évite que le tissu ne s’effiloche et que l’on aperçoit au niveau de la couture de la jambe quand le bas du jean est retourné. C’est d’ailleurs devenu un signe de ralliement, voire de snobisme, de la part des amateurs de Selvedge qui se reconnaissent entre eux grâce à ce petit détail.
 
Au tout début, le denim Selvedge peut paraitre particulièrement rigide. A tel point qu’on a parfois l’impression que ces jeans pourraient « tenir debout tout seul » ! Il faut savoir qu’avec le temps, cette toile va s’assouplir, se détendre et offrir un confort exceptionnel. Sans compter qu’elle va également se marquer aux points de frictions ou au niveau des poches, offrant à votre vêtement sa véritable personnalité.
 
Au fil des années, les Japonais ont perfectionné leurs techniques de tissage et de teinture. On connait leur obsession de la qualité et des détails ! Aujourd’hui, nos amis nippons produisent des toiles d’une qualité exceptionnelle que l’on ne trouve plus d’ailleurs qu’au Japon ! Ce n’est pas compliqué : le Pays du soleil levant est devenu « la meilleure entreprise de denim au monde ».

Comme le souligne Katsu Manabe, le fils du fondateur de Momotaro, le spécialiste du denim au Japon : « aux États-Unis, les jeans ont une image simple mais forte et l’accent est mis sur la coupe. En Europe, l’histoire tourne autour du design et du style. Au Japon, nous nous concentrons sur les détails et la qualité ».
 
Et d’ajouter : « nous travaillons sur d’anciens métiers à tisser à navette pour donner un aspect artisanal à nos textiles ; et les détails sont soigneusement cousus à la main. Bref, aucun compromis sur la qualité. Nous dépassons toujours les normes mondiales ». On se souvient d’ailleurs de sa collab’ avec Oris pour la fabrication de bracelets en denim.  
 
Très tôt, cette industrie s’est installée dans la région d’Okayama à une heure en train à l’ouest d’Osaka. Et plus précisément à Kojima qui est devenue la capitale ou la Mecque du denim au Pays du soleil levant qui attire tout de même 100.000 visiteurs par an ! A tel point qu’ici, le bleu indigo qui caractérise le denim est devenu le « bleu Japon », un coloris propre à la région.

Un bleu qui prend vie, littéralement dans Denim Street. Tout un quartier entièrement dédié au jean. Même le goudron de la rue principale prend une teinte couleur denim et les trottoirs sont symbolisés par les lignes rouge et blanche qui caractérisent les « bords finis » des jeans Selvegde.
 
Sur des fils, tirés en hauteur en travers de la rue, des pantalons en denim pendent toute l’année. Exposés au soleil, aux vents salés venant de la mer et aux intempéries. Une manière également de montrer que cette toile japonaise résiste à tout !
 
Sur quelques rues, une trentaine de magasins propose tout ce que vous pouvez imaginer en toile denim. Des jeans bien évidemment, des chemises, des vestes, des sacs, des pochettes, des cravates, etc. Tout est denim. Même le glacier propose une glace bleue et le café du coin vendi des muffins indigo. Sans compter les toilettes publiques !

Deux magasins, situés peu ou prou à l’opposé l’un de l’autre, sont incontournables (avec du personnel parlant anglais) ! Big John et Momotaro. Deux grands noms du denim nippon. Chacun, installé aux extrémités de ce parcours indigo…
 
Rappelons que la marque Big John est mythique au Japon. Elle fut l’un des tous premiers grands noms en matière de jeans japonais. Ce grand magasin ne propose de fait que des vêtements et des accessoires en jean. Forcément !
 
Vous pouvez même y acheter de la toile (différents grammages sont disponibles) à ramener à votre tailleur préféré qui pourra par exemple, vous confectionner un blazer en denim Selvedge ; compter 4 à 5 mètres de tissu.

A l’autre entrée de Denim Street, l’incontournable spécialiste japonais du denim haut de gamme depuis 1992 : Momotaro. Lui aussi, possède un beau magasin où l’on retrouve l’ensemble de ses collections dont la plupart des vêtements arbore les fameuses « Battle Stripes », deux lignes blanches imprimées sur la toile denim.
 
Trois choses à ne pas manquer dans ce magasin : tout d’abord, Momotaro propose un service de fabrication de costumes en demi-mesure en denim. Le résultat est assez bluffant et illustre bien toute la versatilité de ce tissu ! Compter dans les 800 euros et quelques huit semaines d’attente.
 
Dans un coin de la boutique, Momotaro expose un véritable métier à tisser à navette qui provient de la région de Kyoto. Si vous avez la chance de passer en semaine, un ouvrier fabrique encore de la toile sur cet outil. Il faut savoir qu’il faut compter environ 8 heures de travail pour 90 centimètres de toile ! On comprend dès lors, la qualité et le prix de ce tissu !

Enfin, « last but not least », Momotaro vient tout juste de lancer une nouvelle toile denim pour jeans très haut de gamme qui a la particularité d’être fabriquée avec 60% de soie et 40% en coton.

Des pantalons uniquement vendus au Japon car la production de ce tissu -beaucoup plus doux que le 100% coton- reste très faible. Pour différencier encore plus cette collection, les boutons sont ici réalisés en argent véritable et massif ! Compter dans les 400 euros (60.000 yen) pour un jean.
 
Bon à savoir : pour profiter à plein de cette visite de Denim street, sachez que, paradoxalement, les jours de semaine sont assez calmes et que de nombreuses boutiques sont fermées. En effet, la plupart des magasins sont gérés par une ou deux personnes qui, du lundi au vendredi, travaillent à la production de leurs propres collections dans leurs ateliers. De fait, cette rue entièrement dédiée au jean s’anime principalement lors des week-ends !
 
Si vous n’avez pas la chance de pouvoir visiter Kojima, sachez qu’à Tokyo, le quartier de Ueno regorge de boutiques de jeans tout le long de la ligne de chemin de fer.  
 
Jean-Philippe Tarot
 
*contraction de « Self Finished Edges » qui a donné « Self-Edge » puis « Selvedge ».
** le fil de Lee était jaune et celui de Wrangler était vert ou bleu. Il est rosé chez Momotaro.









Montres-de-luxe.com | Publié le 8 Mai 2023 | Lu 5528 fois

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