Quelle heure est-il ? La même que d'habitude !



Par Alexis Francis-Bœuf

« Quelle heure est-il ? La même que d'habitude ! » in Fin de Partie de Samuel Beckett (1906-1989)

« Quelle heure est-il ? ». Cette question cent fois posée… Et dans certaines situations, n'est elle pas le signe, parfois, d'un profond ennui face au temps qui s'écoule indéfiniment ?

Nous sommes prisonnier -dans certains cas- de nous même et de notre impatience. Alors que l'heure nous est donnée partout, affichée sur nos téléphones portables, sur l'écran de nos ordinateurs, sur la montre à notre poignet, sur la pendule du grand-père ou annoncée a la radio, le fait de demander l'heure est perçue alors, non plus comme une simple question mais comme un appel au secours pour sortir du labyrinthe infernal du temps qui ne passe pas assez vite.

La réponse est cinglante : « la même que d'habitude », ce qui nous replonge immédiatement dans un ennui métaphysique. C'est ce qu'exprime de façon laconique Beckett dans « Fin de partie ».

Samuel Beckett, né à Dublin en 1906, publie ses premières oeuvres (romans, nouvelles et pièces de théâtre) en anglais, puis il écrit en français (Fin de partie, 1957, notamment), langue qu'il maîtrise parfaitement : il fait des études de lettres et vit à Paris.

Il doit ses premiers succès à l'amitié qui le lie à son compatriote James Joyce, à qui les critiques l'associent lors de ses débuts littéraires. La pièce a été créée, en français, au Royal Court Théâtre de Londres en 1957 sous le nom de Endgame et à Paris peu après, dans une mise en scène de Roger Blin.

Pièce sur l'ennui, le vide et le non-sens de l'existence, Fin de partie illustre la difficulté de vivre. Elle met en scène trois personnages handicapés physiquement ainsi qu'une autre personne : Clov, qui est le seul a pouvoir se déplacer à sa guise ou presque. Il est le valet de Hamm ainsi que son fils adoptif.

Tous vivent dans une maison qui est, selon les dires des personnages, située dans un monde désert, dévasté et apocalyptique. La pièce parodie les conventions théâtrales classiques : en effet, rien ne se produit au cours de ce spectacle. La fin est annoncée dès les premiers mots ; elle est même présente dans le titre et les personnages s'adressent parfois au public pour déclarer qu'ils s'ennuient à mourir.

Cette œuvre a été rapprochée du théâtre de l'absurde, mais Beckett a toujours nié l'appartenance à un quelconque courant littéraire. Le titre peut s'appliquer à l'histoire des deux personnages principaux attendant la fin de leur vie ou celle de la pièce qu'ils jouent, ainsi qu'à la décision de Clov de mettre un terme à sa relation avec Hamm, mais aussi, au niveau de l'écriture, à la fin d'une certaine littérature créatrice d'illusion trompeuse.

D’origine protestante, Samuel Beckett fait ses classes à l’Earlsford House School de Dublin, avant d’intégrer la Portora Royal School d’Enniskillen. Oscar Wilde y avait été lycéen. Entre 1923 et 1927, Beckett étudie le français, l’anglais et l’italien au Trinity College de Dublin.

Bachelor of Arts en poche, il devient lecteur d’anglais à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris. C’est là qu’il rencontre James Joyce, dont il deviendra l’ami et le collaborateur. En 1929, il en défend la méthode et l’œuvre dans son premier ouvrage, un essai critique, Dante, Bruno, Vico, Joyce.

Après plusieurs voyages en Europe, il s’établit à Paris en 1938. « Je préfère la France en guerre à l’Irlande en paix », aurait dit celui qui grossira les rangs de la résistance au sein du groupe Gloria. Il se réfugie ensuite en zone libre, à Roussillon (Vaucluse).
 
Son séjour lui inspirera En attendant Godot, qui paraît en 1948. L’œuvre, mise en scène par Roger Blin dans un théâtre parisien, en 1953, marque le début de sa carrière théâtrale. Car bien qu’ayant accédé à la notoriété par le théâtre, Samuel Beckett fut d’abord un auteur de romans et de récits. Il écrit les romans Molloy, Malone meurt, L'innommable (1947-1949) et la pièce Fin de partie (1954). En 1945, à trente-neuf ans, il renonce à écrire dans sa langue maternelle pour lui préférer celle de son pays d’adoption : en français, dit-il, « c'est plus facile d'écrire sans style ».
Entre 1956 et 1960, Beckett reviendra pourtant à sa langue maternelle : La Dernière bande (1958), Oh les beaux jours (1960). Il réalisa aussi un film (Film, 1964), dans lequel Buster Keaton tient le rôle d’un personnage muet qui tente de se cacher au regard de tout être vivant.

Caractérisée par une écriture minimaliste, son œuvre semble tout entière tendue vers le silence. Plusieurs thèmes y sont présents: le temps, l’attente, la solitude, la non communication, la déchéance et parfois pourtant, l’espoir. Il érige le clochard en figure récurrente. Pessimisme et humour y sont toujours liés.

« Je ne sais pas où je suis, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne peut savoir, on doit juste avancer », dit l’un de ses personnages. En 1969, « pour son œuvre qui, à travers un renouvellement des formes du roman et du théâtre prend toute son élévation dans la destitution de l’homme moderne », le prix Nobel de littérature est attribué à Samuel Beckett. Pour lui c’est une catastrophe. Par rejet de ce qu’il qualifie d’industrie beckettienne et des mondanités, il n’ira pas le chercher. C’est son éditeur, Jérôme Lindon des Editions de Minuit, qui le fera.

De la fin des années 60 à sa mort en 1989, la fréquence des publications de Beckett va diminuer. Il tendra vers un style de plus en plus minimaliste. Il est enterré à Paris, au cimetière du Montparnasse.

Montres-de-luxe.com | Publié le 17 Avril 2011 | Lu 931 fois

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